Colloque international organisé par Eliane Beaufils, avec le soutien du Labex Arts H2H, de l’Université Paris 8, et en partenariat avec le CNDC d’Angers, les 16-18 juin 2016, 10h-19h.
Nombreux sont les philosophes à revenir sur la question de la communauté à l’heure de la dispersion des individus dans des réseaux et un monde globalisé. Ainsi, depuis les années 1980-1990, les réflexions prennent en compte des individus certes souvent libres mais post-souverains, créatifs mais démunis de certitudes.
Le terme de communauté n’en reste pas moins délicat, voire discrédité : ses racines mythiques l’associent à une essence et une intériorité, le terme garde de fortes connotations religieuses, utopiques, quand il ne rappelle pas des passés totalitaires. A l’encontre de ces conceptions héritées du passé, certains philosophes tel Jean-Luc Nancy se sont demandés si la communauté n’était pas quelque chose qui se partageait plutôt qu’elle ne se construisait (normativement) ; se résolvant progressivement à abandonner le terme pour privilégier les expressions plus ternes de « l’être-ensemble », ou de « l’être-avec ». Fait est qu’on assiste depuis les années 2000 à un retour de la réflexion sur la communauté, qui ne serait pas seulement « désœuvrée », « inavouable », « affrontée » ou « à venir », et ce retour « va main dans la main avec un retour du politique » (Gerald Siegmund). On peut penser une communauté au-delà du munus, du devoir (Esposito), et on peut penser une politique qui se fonde sur le politique : sur la communication d’expériences sociales originaires dans un « avec », que Nancy définit comme lieu, où les différents modes d’arrangement et d’évaluation de l’existence peuvent s’exprimer. « Le commun n’aurait pas à se présenter comme le sujet du sens mais comme son lieu », « ni spontané ni calculé » ; un lieu qui permet le « mouvement par lequel on va hors de la simple identité », mouvement du sens, hors de valeurs déjà données, de rapports déjà établis (Jean-Luc Nancy).
Le théâtre et les autres arts performatifs semblent à d’aucuns constituer un lieu privilégié pour « être-avec » et impulser un mouvement de sens. Ne présentent-ils pas une possibilité de le penser tout en l’éprouvant ? Ou inversement une possibilité de vivre l’être-avec et ainsi de le repenser ? Le fait est cependant qu’il ne suffit pas d’être ensemble pour que se produise un mouvement de l’en-commun et que celui-ci soit par ailleurs un laboratoire de sens.
Le problème tient peut-être même au fait que la communauté tend à « être le fétiche » du théâtre et de la danse (Rebentisch) : nous sommes tellement convaincus que le théâtre et les arts participatifs sont un creuset privilégié de l’être-ensemble, que nous sommes volontiers acquis aux expériences menées. D’ailleurs plusieurs études sur l’être-ensemble et les communautés sont parues après les ouvrages de Jean-Luc Nancy, Robert Esposito et d’autres au début des années 2000. Le colloque de décembre au théâtre de la Commune est surtout revenu sur les travaux participatifs récents, qui intégraient souvent les principales critiques à l’encontre de la participation, notamment celles de Claire Bishop, Juliane Rebentisch et Shannon Jackson.
Or l’actualité de la question d’un être-ensemble est au moins aussi grande à l’intérieur des dispositifs frontaux, à l’heure où se multiplient les spectacles qui troublent nos catégories d’appréhension : qui nous confrontent à des choralités diffuses ou monologiques, qui renoncent à la « représentation » mais non à toute forme de narration, qui en appellent à nos codes et valeurs, à nos habitus sociaux (y compris ceux de spectateurs) et enfin à notre réflexion, au point que cette création ouverte au spectateur est appelée « rencontre », « appel », voire « création partagée ». Comment en ce cas le spectacle pense-t-il le « nous » ? Quel « nous » et quel sens sont en jeu ? Quel est l’appel fait au spectateur, quel appel au sens si ce dernier ne peut se penser que dans l’horizon partagé d’un « nous » ? La question de cet être-ensemble qui se dessine sans jamais donner lieu à une œuvre de la communauté n’est pas dénuée d’ambigüité. Selon Jean-Luc Nancy, « la pensée de ‘nous’ est antérieure à toute pensée […] elle n’est pas une pensée représentative mais une praxis et un ethos » (Qu’appelons-nous penser ?). En fin de compte, le philosophe définit l’être-avec avant tout comme un mouvement de sens en commun, sachant que pour lui le sens est non divisible et comprend aussi bien le sensible que le cognitif ou l’éthique. Ce sens peut-il néanmoins se dessiner à l’intérieur d’une « œuvre » artistique ? L’actualité esthétique rejoint par ailleurs en partie l’actualité socio-politique dans certains écrits de Nancy (Libération). De fait, si la question d’un mouvement de sens en commun se repose avec acuité, c’est bien parce que l’impression d’une faillite du sens est fréquente : qu’il nous suffise d’évoquer attentats, extrémismes de droite en Europe, défis écologiques, tous liés à une faillite et à une recherche de sens (partagé). Comme l’art néanmoins ne peut qu’ouvrir des espaces, impulser des mouvements, sans qu’on puisse précisément en raison de son ouverture préjuger des réactions du spectateur, il est sans doute plus opportun de parler d’un appel à l’être-ensemble dans les arts performatifs.
Mais sur la base de quelles traces de gestes, d’émotions, de sons, de lumières et de mots se produit l’appel ? Quelle est par ailleurs la part potentielle du devoir, de la contrainte dans ces appels ?
On peut se demander à l’inverse quelle est la tentation de l’extase, la mesure du mouvement vers la mythologie, le devenir un/ le sentir ensemble/ le vouloir ensemble. Jean Luc Nancy en effet voit la littérature – et on pourrait ajouter l’art – investis du pouvoir de soumettre le mythe, de le dire, et en même temps de l’interrompre. Est-ce que la force de l’art n’est pas aussi d’appeler ces désirs mythologiques en même temps que de les déjouer ? Et quand le projet artistique déçoit ces attentes de sentir/ penser ensemble, n’est-ce pas une autre manière de donner une impulsion à ces désirs ? Enfin, n’est-ce pas la reconnaissance de tous ces mouvements de pensée qui importe ? L’autoréflexivité y compris des pensées déceptives, ou du caractère narcissique de certaines idées, n’est-elle pas constructive ? Ne peut-elle être le prélude à un mouvement de sens plus large? On retrouve là l’idée de l’être-ensemble comme laboratoire du politique.
Il convient de se confronter à la pensée de l’avec, du mythe et de la struction chez Nancy en les abordant tant du point de vue phénoménologique qu’herméneutique à travers des analyses monographiques. Les communications pourront aussi approfondir les difficultés épistémologiques inhérentes à ces questions ou revenir sur des études thématiques puisque la mise en jeu de « l’ensemble » signifie bien souvent celle de nos catégories perceptives, de nos normes et discours, le développement de choralités nouvelles, de narrations spéculatives ou poétiques. Entre de très nombreux travaux ou artistes envisageables, on en citera quelques-uns à titre d’exemple : Boris Charmatz, Ivana Müller, Xavier Le Roy, Maguy Marin, Grand Magasin, Philippe Quesne, She She Pop, Gob Squad, Les Chiens de Navarre, Christoph Schlingensief, René Pollesch, Mette Ingvartsen, Jérôme Bel, Forced Entertainment, The Builders Association, Markus § Markus, Latifa Laâbissi…..
Pour toute question, vous pouvez contacter Eliane Beaufils, MCF Université Paris 8 : elianebeaufils@aol.com. Les communications se feront en français.
Date limite d'envoi des communications : 10 avril 2016.
Les réponses seront envoyées le 15 avril 2016.