Circulations, emprunts, transferts culturels : danses en mouvement

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lieu:  Lyon

Sous la direction de Guilherme Hinz et Claudia Palazzolo

Dans le cadre de la Biennale de la danse de Lyon
27 septembre 2025, Hôtel Dieu, Lyon

En résonance avec le thème du défilé de la Biennale, consacré cette édition aux « Danses recyclées », cette journée d’études interrogera le phénomène de la circulation des danses à travers différents contextes géographiques, sociaux et artistiques. Qu’il s’agisse du passage de gestes issus des danses de société vers la scène, de la diffusion des genres de danse dont les formes et les usages varient selon les lieux où ils sont pratiqués, du transfert de mêmes enchaînements d’une danse à l’autre, ou encore de la transmission transnationale des savoirs en danse, ces dynamiques impliquent à la fois inventivité et trahison.

Du côté de la création, pendant tout le XXème siècle, des savoirs chorégraphiques ont circulé à travers le monde de manière significative. On peut citer, par exemple, l’impact de la diffusion des œuvres du Tanztheater de Kurt Jooss au Chili dans les années 1940, la fascination pour l’esthétique de Merce Cunningham ou pour le butô en France dans les années 1980, l’institutionnalisation du ballet en Chine sous influence soviétique à partir des années 1950, ou encore l’engouement pour la pensée de Rudolf Laban au Brésil à partir des années 1970. Du côté des danses de société, certaines danses associées à une culture nationale spécifique, comme le tango, la salsa et le flamenco ont été largement adoptées en Europe, donnant lieu à des scènes locales et à de nouvelles communautés de pratique.

Tout passage d’un objet culturel d’un contexte dans un autre a pour conséquence une transformation de son sens, une dynamique de resémantisation, qu’on ne peut pleinement reconnaître qu’en tenant compte des vecteurs historiques du passage. (...) Transférer, ce n’est pas transporter, mais plutôt métamorphoser (Espagne, 2013).

Dans quelle mesure et selon quelles modalités ces transferts s’opèrent-ils en danse ? Quels processus de sélection et de transformation façonnent à la fois les pratiques et les contextes qui les accueillent ?

La notion de transfert culturel a émergé dans le cadre des études sur les interactions entre l’Allemagne et la France. Michel Espagne, qui l’a théorisée dans le domaine de la littérature, écrit :

« Tout passage d’un objet culturel d’un contexte dans un autre a pour conséquence une transformation de son sens, une dynamique de resémantisation, qu’on ne peut pleinement reconnaître qu’en tenant compte des vecteurs historiques du passage. (...) Transférer, ce n’est pas transporter, mais plutôt métamorphoser (Espagne, 2013) »

D’autre part, depuis les années 2000, les références à des pratiques festives et traditionnelles de danse, qu’elles soient actuelles ou anciennes, se multiplient sur scène (Palazzolo, 2021). Des artistes aux esthétiques et aux démarches très variées s’en emparent, brouillant ainsi les frontières établies entre ces formes de danse. Alors que, jusqu’au XIXème siècle, les allers-retours entre danse de société et danse de scène étaient tout à fait courants, ce phénomène était devenu marginal au XXème siècle. Aujourd’hui, il s’est banalisé au point de remettre en question les catégories de « danse de scène » et de « danse de société », telles qu’elles avaient été théorisées par Carlo Blasis et Henri Cellarius, bousculant ainsi les clivages qu’elles impliquent : amateur/professionnel, sociétal/artistique, compétences/spontanéité.

Dans les débats et l’historiographie, ces circulations sont perçues sous divers prismes : hommage, emprunt, transfert, procédés méta-chorégraphiques ou intertextuels (citation, allusion), mais aussi estimées sous les notions d’« appréciation » ou d’« appropriation culturelle » (Young et Brunk, 2009 ; Mèmeteau, 2016). L’approche culturelle, en dépassant une lecture strictement nationale de l’histoire de la danse, a permis de rendre visibles des dynamiques d’hybridation, des généalogies inattendues et des chocs culturels qui remettent en question l’idée d’une matrice culturelle stable et exclusive.

En effet, les pratiques en danse tendent à s’élaborer dans un entrelacement d’influences, parfois explicites, parfois invisibilisées, qui interrogent les conditions de transmission, d’interprétation et de réappropriation des gestes. Le lien identitaire entre certaines danses et des groupes sociaux n’empêche pas leur ancrage dans des héritages pluriels, ni leur circulation ultérieure dans d’autres contextes. Cela implique un investissement de gestes qui, à chaque fois, sont nourris par des motifs et des enjeux culturels, sociaux et politiques spécifiques à leur nouveau cadre.

Si les débats sur la question de l’appropriation culturelle sont incontournables pour dénoncer certaines formes d’extraction et d’invisibilisation, ils méritent d’être interrogés à l’aune des spécificités chorégraphiques. Il s’agit ici de comprendre les logiques de circulation des gestes, de repérer les modes d’échange et de métamorphose et d’éviter les oppositions réductrices entre « haute culture » et « basse culture » ou entre « tradition » et « contemporanéité ».

Cette journée d’études s’inscrit dans la continuité des recherches en danse, qui témoignent depuis au moins deux décennies d’un intérêt croissant pour ces axes de réflexion, explorés dans diverses thèses (Jacotot, 2013 ; Pagès, 2015 ; Fratagnoli, 2010 ; Maxwell, 2014 ; Maurmayr, 2018...). Dès 2007, l’Atelier d’histoire culturelle de la danse à l’EHESS contribue à ces dynamiques en développant une approche culturelle des pratiques chorégraphiques et de leur historicité. Dans Cultures de l’oubli et citation, Les danses d’après, volume II (2018), Isabelle Launay s’attache quant à elle aux réactivations de gestes de danses du passé au-delà de la filiation et de toute transmission directe. Plus récemment, le séminaire « Histoire et anthropologie des circulations en danse » porté par l’équipe Danse, geste et corporéité de l’université Paris 8, prolonge cette réflexion en adoptant des perspectives interdisciplinaires.

Cette réflexion concerne donc à la fois la création chorégraphique et la circulation des danses de société – qu’elles soient traditionnelles, urbaines ou issues de courants comme le dancehall –, afin d’examiner les transformations des pratiques et des discours qui les accompagnent.

Plusieurs approches méthodologiques peuvent être envisagées : des études de cas (analyse d’œuvres, de ressources historiques, de réception), présentation d’un sujet historiographique inédit ou étude de terrain spécifique. Les communications pourront explorer la notion de circulation sous divers angles, parmi lesquels :

-  Réception située des œuvres chorégraphiques ;

-  Usages situés des catégories en danse (genres, styles, tendances) ;

-  Migrations de gestes à travers les frontières géographiques et culturelles ;

-  Circulations de savoirs chorégraphiques (enseignement, pédagogie, techniques, pratiques) ;

-  Déplacements de pratiques sociales de la danse vers la scène ;

-  Enjeux de la transmission des savoirs chorégraphiques à l’ère numérique ;

Les propositions de communication (3000 caractères maximum, espaces compris) devront être envoyées, accompagnées d’une courte bio-bibliographie, au plus tard le 26 mai 2025 aux adresses suivantes : hinz.guilherme@gmail.com ; claudia.palazzolo@univ-lyon2.fr.

Bibliographie indicative

ALICE ATERIANUS-OWANGA, « “Sabar, sama thiosanou (sabar, ma tradition)”. Frontières et propriété culturelles dans la transmission des danses sénégalaises en Europe », Revue européenne des migrations internationales, n° 3, vol. 35, 2019, p. 153-174.

ANNE BÉNICHOU (dir.), Recréer/Scripter. Mémoires et transmissions des œuvres performatives et chorégraphiques contemporaines, Dijon, Presses du réel, 2015.

« Circulations », dans SUSAN MANNING, JANICE ROSS et REBECCA SCHNEIDER (dir.), Futures of dance studies, Wisconsin, University of Wisconsin Press, 2020, p. 449-540.

MICHEL ESPAGNE, « La notion de transfert culturel », Revue Sciences/Lettres [en ligne], n° 1, 2013, mis en ligne le 01 mai 2012. URL : http://journals.openedition.org/rsl/219

MARK FRANKO (dir.), The Oxford Handbook of Dance and Reenactment, The Oxford HandBook Online, 2018.

FEDERICA FRATAGNOLI, Les danses savantes de l'Inde à l'épreuve de l'Occident : formes hybrides et contemporaines du religieux, thèse de doctorat en danse, Université Paris 8, 2010.

FEDERICA FRATAGNOLI et MAHALIA LASSIBILLE (dir.), Danser contemporain : gestes croisés d’Afrique et d’Asie du Sud, Montpellier, Deuxième époque, 2018.

YVONNE HARDT, « Mettre en scène l’aspect ethnographique de l’histoire de la danse : la danse contemporaine et son jeu avec la tradition », Recherches en danse [en ligne], mis en ligne le 8 mai 2018, http://journals.openedition.org/danse/1801

NATHALIE HEINICH et ROBERTA SHAPIRO (dir.), De l'artification. Enquêtes sur le passage à l'art, Paris, Éditions de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2012.

SOPHIE JACOTOT, Danser à Paris dans l’entre-deux-guerres : lieux, pratiques et imaginaires des danses de société des Amériques (1919-1939), Paris, Nouveau Monde éditions, 2013.

GABRIELE KLEIN, « Toward a theory of cultural translation in dance », dans SUSAN MANNING et LUCIA RUPRECHT (dir.), New German Dance Studies, Champaign, University of Illinois Press, 2012, p. 247-258.

ISABELLE LAUNAY, Cultures de l’oubli et citation : les danses d’après, II, collection Recherches, Pantin, CND, 2018.

BIANCA MAURMAYR, Une culture chorégraphique au fil des airs : Transferts et adaptations poïétiques entre Venise et Paris au XVIIe siècle, thèse de doctorat en danse, Université de Nice Sophia- Antipolis, 2018.

ADELINE MAXWELL, Danse indépendante au Chili : Nouvelles pratiques de résistance vingt ans après la fin de la dictature, thèse de doctorat en danse, Université de Nice Sophia-Antipolis, 2014.

RICHARD MÈMETEAU, « Touche pas à ma musique ! Controverses sur l’appropriation des cultures minoritaires », Revue du Crieur, no 4, vol. 2, 2016.

SYLVIANE PAGÈS, Le butô en France, malentendus et fascination, collection Recherches, Pantin, CND, 2015.

CLAUDIA PALAZZOLO, Danser pop. Une figure de la création contemporaine, collection Recherches, Pantin, CND, 2021.

MINH-HA T.PHAM, « Pour un Discours Inapproprié D’appropriation Culturelle », Tumultes, n° 48, vol. 1, 2017, p. 117-125. DOI : https://doi.org/10.3917/tumu.048.0117.

JAMES YOUNG et CONRAD BRUNK, The ethics of cultural appropriation, Blackwell Publishing, 2009.