La vie des oeuvres

Roland Huesca (dir.), La vie des oeuvres, Paris, Nouvelles Éditions Jean-Michel Place, 2014.

L’ESPRIT

Une chaussure (celle de Van Gogh ou d’un autre), la Tour Eiffel, une oeuvre d’art ou plusieurs,
des poèmes, etc., pour devenir ce qu’elle sera, chaque oeuvre s’inspire de l’air du temps ; plus
justement, dialoguant avec son auteur, elle identifie, sélectionne, intègre et accommode des
atmosphères de savoir et de savoir-faire perçues dans la singularité de son époque.

D’emblée, l’affaire semble délicate. Car ni comparables ni équivalentes, oeuvres et sociétés
n’embrassent pas les mêmes niveaux de réalité. La notion de société englobant forcément celle des objets et des oeuvres, la tentation est grande d’envisager chaque création d’un point de vue strictement social et historique. Cependant, ce type d'analyses méconnaît trop les spécificités esthétiques (mode de création, de réception, etc.) des objets considérés. Aussi, l’idée est ici de se tourner en premier lieu vers l'oeuvre et ses modes d’existence plus que vers les cadres et contextes qui l'entourent. Dès lors, le problème se déplace. Les matrices sociologiques ou historiques ne conditionnent plus les catégories esthétiques, mais ces dernières cherchent à s'élargir jusqu'à contenir le caractère social et historique des objets créés. Dans cet esprit, les oeuvres condensent les lignes de force des contextes qui les font naître, et dans lesquels elles prennent la place qui leur revient en fonction du statut que les hommes leur accordent à un moment historique donné. Par cette place et ce statut, leur présence conforte ou bouscule le monde dans lequel elles s'inscrivent en scellant ou en fondant les attentes et les aspirations du public à qui elles s'adressent. Saisir ces instants, c’est comprendre la société dans une dynamique où chaque objet, chaque oeuvre, joue son rôle dans les instants mêmes de la vie quotidienne. À ce moment, selon la formule d'Umberto Eco, l'oeuvre devient « une métaphore épistémologique » indiquant la manière dont une culture produit, conçoit et envisage la réalité représentée à un stade donné de son développement. Ainsi, étudier la vie des oeuvres, c’est construire le monde à partir de leur mode d’existence et du regard qu’elles posent alentour.