La figure de Laurence Louppe occupe une place essentielle dans la construction d’une pensée en danse depuis les années 1980. Disparue il y a dix ans, après avoir marqué toute une génération de danseurs, chorégraphes, artistes, étudiants, penseurs de la danse et des arts, elle nous a laissé à travers ses écrits un ensemble consistant de savoirs et d’outils dont il importe de mesurer les survivances aujourd’hui.
Laurence Louppe a pensé sur la danse, mais tout autant avec elle, et à partir d’elle. Elle a initié une théorie du danser, orientant les regards sur sa poïétique, et cherchant à révéler l’existence d’une pensée motrice à une époque où la littérature critique était encore balbutiante et peu partagée. Ne détachant jamais les strates sensibles et réflexives de l’expérience chorégraphique, elle a su ouvrir une autre lecture des corps, la compréhension des enjeux esthétiques et poïétiques des œuvres, comme la dimension politique de leurs actes artistiques. Si son œuvre toutefois persiste et continue de nourrir la réflexion dans le champ chorégraphique, c’est qu’elle a osé en son temps une série de gestes singuliers. Des gestes assez décisifs pour orienter tout un pan francophone de la recherche en danse, et – c’est une hypothèse à travailler – conserver dans les débats actuels leur force d’inspiration.
Critique, écrivaine, conférencière-performeuse, encore nommée historienne de la danse, Laurence Louppe a publié des ouvrages aux éditions Contredanse, Poétique de la danse contemporaine (1997, 2007). Ils l’instituent plus spécifiquement en poéticienne de la danse, à un endroit mal (re)connu, aux contours flous, nouveau à vrai dire dont elle semble avoir taillé les premières mesures pour celles et ceux à venir. Soucieuse de partir du travail du danseur, et d’initier par là même un travail de recherche pratique et théorique de la danse contemporaine, elle écrit à propos de sa Poétique : « En ces pages nous n’avons rien inventé. Nous n’avons rien fait d’autre que glaner et recueillir des bribes d’expériences de corps portées par le flux d’un trésor inouï de ressources et de pensées ». Mais nous savons que sa pensée, sans cesse en mouvement, a porté bien plus que cela, délivrant pour certains de réels outils de lecture et de critique, permettant à d’autres de construire des regards aiguisés et informés sur les différentes pratiques artistiques. Laurence Louppe a été l’une des premières à donner place et reconnaissance à la parole des artistes, chorégraphes et interprètes, elle leur a donné l’audace et la confiance de s’emparer de cette parole, une forme de pouvoir ainsi acquise.
Ce flou d’assignation à une posture théorique déjà repérée semble avoir joué le rôle d’une clef méthodologique pour oser écouter (les savoirs de) celles et ceux qui font la danse, travailler à déhiérarchiser les sources du savoir, qu’elles soient orales ou écrites, et partant de là, faire feu de tout bois. Laurence Louppe était en prise avec une période, un moment spécifique de l’histoire de la danse contemporaine et de son développement en France. Elle l’a singulièrement éclairé, tissant des liens essentiels avec d’autres champs disciplinaires artistiques ou scientifiques, déployant connaissances et savoirs alors encore trop peu nommés en danse. Promouvant une méthode par l’expérience et la rencontre, sa pensée se révélait en produisant des liens entre les personnes, les pratiques, les théories. Contribuant à faire apparaître et reconnaître la danse dans les discours sur les arts, notamment au travers de sa contribution à Art Press, elle a accompagné la mise en jeu d’un regard différent, mature, sur cet art et son intelligence propre.
Il est aisé de mesurer à quel point cette autodidacte a été, à travers son écoute des corps dansants, sa capacité à faire des ponts interdisciplinaires et l’extension de ses champs d’action, une ouvreuse de voix/es. Mais lesquelles ?
Que reste-t-il aujourd’hui du style Laurence Louppe ? Qu’en est-il de l’impact de son travail et des conséquences de sa diffusion, à travers ses écrits mais aussi via l’écoute que pouvaient en avoir différents publics, en formation (artistes ou enseignants), en recherche ou en tant que spectateurs ? Que faire de l’ancrage de sa pensée dans une période définie ? Comment interroger les traces dynamiques dont nous avons héritées tout autant que l’appropriation qui a pu être faite de sa pensée ? Quelles analyses critiques de son œuvre sommes-nous en mesure de développer aujourd’hui où les recherches en danse se sont multipliées, et où les réflexions méthodologiques ne cessent de s’affiner ?
Les communications retenues suite à cet appel prendront place lors des journées de rencontre avec Laurence Louppe, intitulées Écouter Laurence Louppe. Écouter veut dire tout à la fois tendre l’oreille pour prêter attention à sa voix, sa parole, sa pensée, et s’en laisser conduire au sens de suivre le chemin qu’elle a pour partie balisé ou outillé et qui a pu être approprié singulièrement.
C’est aussi vouloir observer de plus près le legs de ses mots, et tenter de répondre dans l’écart à une question plus précise :
Pourquoi lire Laurence Louppe aujourd’hui ? Pourquoi pas ? C’est-à-dire : de quelles nécessités cette lecture relève-t-elle ?
Par cet appel à communication, nous souhaitons interroger à la fois la singularité de son écriture – en ce qu’elle reflète fondamentalement une façon de penser (la danse) – et nos manières de la lire aujourd’hui, de se l’approprier, de l’actualiser, de la déplacer ou de suivre ses pas.
Cette rencontre désire laisser place tout autant aux différents acteurs qui l’ont côtoyée à un moment ou l’autre de leur parcours, qui l’ont accompagnée, éditée ou traduite, qu’aux personnes qui l’ont lue depuis par hasard ou recommandation et qui en ont été marquées. Il s’agira de donner à voir la multiplicité de ses résonances, quelles qu’en soient les modalités, et de les mettre en perspective critique et constructive pour l’à-venir de la pensée en danse.
Quelques questions peuvent guider les propositions de communication, sans exhaustivité :
- Pourquoi lire Laurence Louppe aujourd’hui ?
- Qu’en ont fait, qu’en font aujourd’hui les personnes qui l’ont lue ou côtoyée ? Quelles appropriations ont été faites ? Quels déplacements ont été proposés ?
- Pourquoi et comment relire Laurence Louppe de façon critique ?
- La place donnée au travail de l’artiste dans le studio a-t-elle eu des conséquences ? Qu’a-t-elle nourri ou généré ?
- Dans quelles mesures ses pratiques d’écriture et ses écrits ont-ils renouvelé les méthodologies en histoire de la danse et en esthétique ?
- Que faire de sa façon singulière d’écrire ?
- Comment questionner la relation aux autres arts, présente dans ses processus de construction d’une pensée en danse ?
Les communications qui seront proposées suite à cet appel prendront place, avec d’autres modalités d’écoute et de partage, lors des deux journées de rencontre « Écouter Laurence Louppe » coorganisées par l’association des Chercheurs en Danse (aCD) et le Centre national de la danse (CN D), les 30 septembre et 1er octobre 2022 à Pantin.
Modalités de communication
L’appel à communication est ouvert aux artistes, chercheur·euse·s, doctorant·e·s, pédagogues, médiateurs et autres professionnel·le·s, de la danse ou d’autres champs disciplinaires.
Différents formats d’interventions sont possibles : un format académique (présentation de 20 minutes puis discussion) ou autres formats performatifs ou créatifs (20 à 30 minutes).
Les résumés des propositions de communication sont à envoyer par courriel, en fichier attaché, à contact@chercheurs-en-danse.com, avant le 8 juin 2022.
Ils doivent mentionner :
- les nom, prénom, affiliation(s) et coordonnées électroniques du ou des auteurs/autrices
- le titre de la communication
- le format d’intervention choisie
- un résumé de 3 000 signes environ (espaces compris).
- une notice biographique d'un peu moins de 1 000 signes (espaces compris)
Comité scientifique « Lire Laurence Louppe aujourd’hui »
Laurent Barré, responsable du service recherche et répertoires chorégraphiques, CN D
Giuseppe Burighel, chercheur Université Paris 8, aCD
Geisha Fontaine, artiste chercheuse, aCD
Alice Godfroy, enseignante chercheuse Université Côte d‘Azur, aCD
Sylviane Pagès, enseignante chercheuse Université Paris 8, aCD
Joëlle Vellet, enseignante chercheuse Université Côte d‘Azur, aCD
Coordination scientifique des journées de rencontre « Écouter Laurence Louppe »
Laurent Barré, CN D
Alice Godfroy, Université Côte d‘Azur, aCD
Sylviane Pagès, Université Paris 8, aCD
Joëlle Vellet, Université Côte d‘Azur, aCD