PROLONGÉ !! Appel à contributions n°8 de Recherches en danse "Danse(s) et populaire(s)"

date limite: 

 

Courant reconnu et légitime dans les pays anglo-saxons, la France souffre d’un déficit d’étude sur les cultures populaires (Pasquier, 2005). La danse n’échappe pas à ce constat. Il existe en effet peu de travaux en langue française consacrés aux danses populaires, ce qui peut s’expliquer, en partie, par l’ambiguïté sémantique qui accompagne l’usage, plus ou moins péjoratif, de ce terme. Que faut-il entendre par « populaire » : pour le peuple ? par le peuple ? ce qui est diffusé largement et bon marché ? accessible à tous, simple, modeste ? une figure faible, disqualifiée, vulgaire (au sens étymologique du terme) ? Parler de danses « populaires » recouvre des sens ambivalents tout en désignant des pratiques distinctes : rurales, traditionnelles, folkloriques, de masse, grand public, produites par l’industrie culturelle main Stream, etc. Ce qui conduit à avancer que cette notion polysémique de « populaire » relève d’une catégorisation hiérarchisante entre les cultures. L’histoire des courants de pensée éclaire pour une part, cette dissymétrie. Au début du XXe siècle, historiens, linguistes, ethnologues et sociologues français débattent longuement de la légitimité des travaux scientifiques se consacrant au « populaire ». Il faut attendre les années 1960 pour que cette thématique soit acceptée comme objet crédible de recherche à travers l’idée de « culture populaire ». Dans la continuité d’une histoire des mentalités portée par Marc Bloch ou Lucien Febvre, le populaire est alors étudié à partir du récit des catégories dites « populaires » et de l’observation de leurs pratiques, de leurs rituels, de leurs fêtes ou de leurs révoltes. Néanmoins les travaux des auteurs de l’époque présentaient, de manière consciente ou non, les spécificités de ces cultures « populaires » comme l’image inversée d’une culture savante. Dans le domaine de la sociologie de la culture, en France, les travaux de Pierre Bourdieu vont marquer durablement le paysage et nourrir des débats idéologiques qui participeront du retard de l’arrivée en France des travaux anglais et américains (ceux d’Howard Becker entre autres). Pour Dominique Pasquier (2005), c’est ce manque d’échanges avec les sociologies de la culture anglo-saxonne qui explique ce sous-traitement de la catégorie du populaire : « Ainsi, tandis que les chercheurs des Cultural Studies considèrent que les cultures populaires sont dotées d’un système de valeur et façonnent leur propre univers de sens, les théories de la légitimité culturelle que Bourdieu formalise dans La Distinction en 1979, les caractérisent par le manque et la privation. C’est la contrainte qui prévaut pour les agents des classes populaires : ils sont condamnés à consommer des biens symboliques déclassés par ceux qui produisent les standards légitimes ».

 
Au début des années 1970, cet allant de soi d’une dichotomie entre populaire et savant va être remis en cause et l’emploi même du qualificatif « populaire », critiqué. Pour Michel de Certeau, Dominique Julia et Jacques Revel, « le « populaire » n’est que le produit d’un regard, d’une assignation et surtout d’une disqualification, apposés par les élites sur certaines pratiques ou objets jugés indignes » (cités par Kalifa, 2005). Ces nombreuses controverses ont laissé des traces et freiné en France la dynamique épistémologique des recherches sur le populaire. Aujourd’hui encore, dans certains espaces universitaires, prendre comme objet de recherche les usages populaires de la culture ne va pas de soi et met dans l’embarras, comme si le chercheur (et l’institution qu’il représente) se trouvait délégitimé, par contamination avec l’étude d’une production culturelle, peu voire non légitime, puisque populaire. Les recherches sur « danses et populaires » participent à ces débats et au procès de légitimation non seulement scientifique mais aussi artistique de cette notion, tout autant revendiquée que dévalorisée.
Dans un contexte où les études sur les pratiques de danses populaires sont rares et dispersées, ce numéro 8 de la revue Recherches en danse entend à la fois questionner la catégorie de « danse populaire », dresser un état des lieux des études actuelles sur les pratiques de danses populaires et contribuer à faire (re)connaître ce champ de recherches au sein des études francophones.
 
Réfléchir à l’articulation danse(s) et populaire(s), c’est d’une part penser les transformations d’usage du mot « populaire » et d’autre part interroger les imaginaires collectifs portés par des pratiques artistiques. Qu’est-ce qui se joue dans cette référence au populaire en termes de hiérarchisation des goûts, de catégorisation, de différenciation ? Comment caractériser et mesurer la « popularité » d’une esthétique et quelles valeurs sont revendiquées par une danse dite « populaire » ?
Fondée sur des dichotomies (savant/populaire, dominant/dominé, complexe/simple, haut/bas...), cette notion de « populaire », dont les contours flous sont souvent source de confusions, restaure en effet une pensée catégorisante, voire hiérarchisante des cultures et des danses qui reste à déconstruire.
 
Les contributions pourront s’inscrire dans un ou plusieurs des quatre axes suivants (qui n’épuisent pas le sujet et n’empêchent pas non plus des propositions situées hors de ces axes) :

  •  « Danses populaires » : une catégorie à questionner

Que disent les artistes, les spectateurs ou les chercheurs lorsqu’ils désignent certaines danses comme appartenant au « populaire » ? Quelles nuances établissent-ils par rapport au traditionnel ou au folklorique ? Comment se font les processus d’étiquetages et de qualification au sein des créations chorégraphiques qui font appels à des danses conçues comme « populaires » ? Où placer les productions participatives en danse contemporaine ou celles qui brouillent les pistes en mélangeant des figures empruntées au bal, au cirque, au folklore ?

  • Valeurs et esthétiques populaires

L’histoire des danses populaires en Europe, particulièrement en France à la fin du Moyen-âge et à l’âge classique, se caractérise par la volonté de leur éradication volontaire et planifiée par l’État et l’Église. Qu’est-ce qui, dans ces danses, était si dérangeant ? À travers elles, quel rapport au corps, quelles manières de vivre et quels savoirs étaient transmis, localement et oralement ? Aujourd’hui quelles valeurs et quels imaginaires sont véhiculées par le hip hop, le soukous, le jumpstyle, le coupé décalé ou les danses de bal ? À quelles esthétiques ces danses font-elles références ?

  • Popularisation, démocratisation et « artification »

Comment des danses se démocratisent, se popularisent ou, à l’inverse, font l’objet de dynamiques d’artification, c’est-à-dire comment passe-t-on la frontière entre non-art et art ? Des danses collectives « utilitaires » (danses pour la récolte, la naissance, les rites de passage...) peuvent-elles s’artifier et être investies par d’autres valeurs (visibilité, distinction, prestige) ? En d’autres termes, que fait l’art à ces danses et que ces danses font-elles à l’art ? Quels processus de porosité, quels emprunts sont repérables entre les différentes formes dansées et comment ces éléments redistribuent-ils les rapports de domination existants ?

  • Appropriation, transmission, circulation

A l’heure où YouTube constitue un formidable réservoir de vidéos de danses et de performances circulant à grande vitesse dans les corps des individus appartenant à différentes régions du globe, comment les danses populaires circulent, sont appropriées et re-sémantisées d’un espace géographique ou social à l’autre ? Comment sont-elles transmises entre pairs, entre générations et entre époques ? Comment permettent-elles l’expression individuelle et/ou la communion collective ? Comment les dynamiques de transmission de ces danses se transforment-elles avec l’apparition de nouveaux lieux et espaces de transmissions (festival, cours, internet…) ?
 
Seront privilégiés les articles s’appuyant sur une approche méthodologique de terrain et des regards disciplinaires croisant ceux de la sociologie, de l’anthropologie, de l’histoire, de la philosophie, de l’esthétique, de l’économie, du droit...

Numéro coordonné par Sarah ANDRIEU, Laura FANOUILLET et Betty LEFEVRE.

 

Bibliographie indicative 

Bartók Béla, Écrits, Genève, Éditions Contrechamps, 2006.
Bourdieu Pierre, « Vous avez dit ''populaire'' ? », Actes de la recherche en sciences sociales, Vol. 46, mars 1983, L’usage de la parole, 1983, pp.98-105.
Certeau Michel De, L’Invention du quotidien, t. 1, Arts de faire (1980), Paris, Gallimard, 1990. 
Certeau Michel De, Julia Dominique, Revel Jacques, « La beauté du mort », 1970, repris dans La Culture au pluriel, Paris, C. Bourgeois, 1974, pp. 49-80.
Collovald Annie, Sawicki Frédéric, « Le populaire et le politique. Quelques pistes de recherche en guise d’introduction », Politix, Vol. 4, n°13, 1991, pp. 7-20.
Cuisenier Jean, La tradition populaire, Paris, PUF, Que sais-je, 1995.
Constant Martin Denis, « Cherchez le peuple… Culture, populaire et politique », Critique Internationale, Vol. 7, 2000, pp. 169-183.
Defrance Yves, « Jean-Michel Guilcher. Un demi-siècle de recherches sur la danse traditionnelle en France », Cahiers d’ethnomusicologie, 21, 2008, pp. 250-267.
Fabre Daniel, Carnaval ou la fête à l’envers, Paris, Gallimard, 1992.
Fournier Laurent Sébastien, « Danses folkloriques : un héritage revisité » in Bertrand Régis et Fournier Laurent Sébastien (dir.), Les fêtes en Provence autrefois et aujourd’hui, Aix en Provence, Publications de l’Université de Provence, Coll. Le Temps de l’Histoire, 2014, pp.163-174.
Gasnault François, Gombert Pierre, Laffé Félix et Ursch Jacqueline (dir.), Récit de fêtes en Provence au XIXe siècle. Le préfet statisticien et les maires ethnographes, Milan, Silvana Editoriale, 2010.
Grignon Claude et Passeron Jean-Claude, Le savant et le populaire. Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris, Le Seuil, 1989. 
Guilcher Jean-Michel, La tradition populaire de danse en Basse-Bretagne, Paris, La Haye, Mouton et Co, 1963. 
Guilcher Jean-Michel, « Aspects et problèmes de la danse traditionnelle », Ethnologie française, 1, 2, 1971, pp. 7-48. 
Guilcher Jean-Michel, Les tradition de danse en Béarn et Pays Basque français, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1984. 
Heinich Nathalie, Shapiro Roberta (dir.), De l’artification. Enquête sur le passage à l’art, Paris, Ed. EHESS, 2012.
Hoggart Richard, La culture du pauvre. Étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris, Éditions de Minuit, 1970.
Kalifa, Dominique, « Les historiens français et ''le populaire'' », Hermès, La Revue, Vol. 42, n°2, 2005, pp. 54-59.
Lasch Christopher, Culture de masse ou culture populaire, Castelnau-le-Lez, Climats, 2001.
Mandrou Robert, De la culture populaire en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, La Bibliothèque bleue de Troyes, Paris, Stock, 1964. 
Pasquier, Dominique. « La ''culture populaire'' à l’épreuve des débats sociologiques », Hermès, La Revue, Vol. 42, n°2, 2005, pp. 60-69.
Revel Jacques, « La culture populaire : sur les usages et les abus d’un outil historiographique », in Culturales populares: differencias, divergencias, conflictos, Madrid, 1986, pp. 223-239.
Steil Laura, « Identité, réseaux et allégeances chez les jeunes noirs amateurs de danses urbaines » in Michel Agier, Remy Bazenguissa Ganga (dir.), L’Afrique des banlieues françaises, Paris, éd. Paari/Makitec, 2012.
Van Gennep Arnold, Le folklore français, du berceau à la tombe, Paris, Robert Laffont, 1998.

 

Informations pratiques

Les articles peuvent prendre la forme d’études de cas, d’études comparatives ou synthétiques, d’entretiens ou de témoignages.
Cet appel concerne plusieurs rubriques de la revue : articles scientifiques, témoignages et entretiens, regards croisés, analyses de démarche de recherche, traductions (d’articles ou d’extraits d’ouvrages publiés)…

Les résumés des propositions de contribution (de 10 à 15 lignes) sont à envoyer par mail en fichier attaché à :

revue@chercheurs-en-danse.com avant le 15 juin 2019.

Le nom du fichier adressé en pièce jointe sera le nom du contributeur, soit : « CONTRIBUTEUR.doc ».

Les décisions du comité scientifique éditorial seront délivrées aux auteurs vers mi-juillet 2019.
Les articles retenus devront être envoyés dans leur forme définitive pour le 15 septembre 2019.

Indications aux auteurs
En publiant dans Recherches en danse, l’auteur accepte de céder son droit d’auteur à la revue. Il n’est pas rémunéré pour sa contribution. Par conséquent, toute republication intégrale est soumise à l’accord du comité scientifique éditorial et doit être demandée par l’auteur à la revue Recherches en danse.
 
Format
Les textes proposés ne doivent pas avoir été publiés ailleurs auparavant.
Ils seront rédigés en langue française.
Ils feront de 20 000 à 35 000 signes (espaces et notes comprises).
Le texte sera enregistré sous Word (.doc).
Vous trouverez ci-joint les critères de mise aux normes typographiques et de mise en page.
Il est obligatoire de fournir les « métadonnées ». Ces indications seront de préférence fournies juste avant le texte, dans le même fichier :

  • Notice biobibliographique succincte rédigée à la 3e personne (titre, institution de rattachement éventuelle, pour les doctorants : nom du directeur de thèse, bibliographie indicative...), maximum 5-10 lignes.
  • Résumé de l’article (+ abstract en anglais), d’une dizaine de lignes, d’un seul paragraphe.
  • 3 à 5 mots-clés en français et en anglais.

Pour plus d'informations, suivre le lien aux normes typographiques de la revue.